Résumé La présente contribution répond à un double objectif. Il importe d'une part de dégager l'ambiguïté de la notion de «propriété». Sous l'Ancien Régime, le paysan, habitué aux situations concrètes et aux pratiques coutumières ne s'embarrasse guère de la valeur juridique des concepts, entretient habilement la confusion entre la «possession» et la «propriété» du sol, la première l'intéressant bien davantage que la seconde. Il convient ensuite de mettre en évidence l'articulation entre le contexte conjoncturel, les modes de tenure et les rapports de forces, tant entre seigneurs et paysans qu'entre bailleurs et preneurs, à la lumière de la compétition autour de la terre. En passant d'une période de reconstruction, au lendemain de la crise du XVIIe siècle, à une période d'essor de la rente foncière au XVIIIe siècle, la campagne alsacienne témoigne, en dépit de sa singularité qui l'apparente au monde rhénan, d'une évolution significative. De bonne heure, se mettent en place les mécanismes qui présideront à la mise en vente des biens nationaux.
En opposition avec les théories des physiocrates qui préconisent la «grande et riche agriculture», la plaine d'Alsace offre au XVIIIe siècle l'image d'une agriculture traditionnelle qui repose davantage sur le nombre de ses hommes que sur d'improbables prouesses techniques. Modèle de la «petite culture», elle recourt à des méthodes ancestrales, proches du jardinage et fortement consommatrices de travail humain. Mais la dispersion des fortunes foncières, l'éclatement des exploitations, l'émiettement de la propriété et du parcellaire ne signifient nullement inaptitude au progrès ou refus délibéré des nouveautés. Grâce à des astuces techniques et à d'habiles compromis, les assolements traditionnels sont assouplis tandis que la culture s'intensifie et se diversifie. L'opposition entre un «bricolage» cultural et archaïque, routinier, reposant autant sur le besoin de sécurité que sur les leçons de l'expérience, et une agriculture «éclairée», rationnelle et scientifique, perd sa raison d'être en milieu rhénan où les structures démographiques, foncières et économiques originales profitent d'une ambiance intellectuelle cosmopolite au confluent de la physiocratie française et du caméralisme allemand.