La théorie de Simondon sur le renforcement de la cohérence des objets techniques et sur le resserrement des liens entre leurs éléments incite à interroger l'histoire des usines selon cette perspective. Cette problématique est appliquée ici aux usines automobiles, importantes dans l'histoire industrielle du xxe siècle – en particulier celle de Peugeot-Sochaux, encore active après plus d'un siècle. Deux échelles d'observations sont adoptées. L'évolution du travail se caractérise par une tendance longue à la fragmentation des métiers, puis des tâches, au resserrement de l'activité sur l'objet, au transfert de l'intelligence des travailleurs vers les installations. L'évolution de l'organisation de l'usine est plus complexe. L'intégration des fabrications par le rapprochement spatial, par les chaînes et les convoyeurs, puis par les réseaux informatiques, est perturbée par la transformation de l'entreprise et par l'arbitrage incessant entre stratégies discordantes.
Dans la vie d'une usine, illustrée ici par le site de Peugeot-Sochaux durant la période 1945-1970, les aléas surviennent avec une grande abondance. De fait, ils occupent une grande partie de l'activité du directeur du site et des équipes d'ingénieurs qu'il coordonne, en charge des principales usines et fonctions dans le site. Pour préserver le programme industriel fixé par l'entreprise, ceux-ci s'emploient à surmonter les obstacles imprévus, aussi disparates que, par exemple, des défaillances de fournisseurs, des accidents climatiques ou des troubles politiques. Au-delà de la réaction au cas par cas, ils cherchent à parer d'éventuelles récidives et, pour cela, à élaborer des mesures d'anticipation, à aménager des dispositifs de régulation. L'article étudie les façons dont ces dispositions mettent en jeu l'organisation même de la production, au sein de l'usine ou dans son système élargi d'approvisionnement, ou touchent aux relations que l'usine établit avec son environnement.