Les thèmes de l'esclavage des robots, de leur révolte prométhéenne et de la guerre des espèces semblent consubstantiels à celui de l'imagination de créatures artificielles comme à celui du désir sexualisé à l'égard d'une femme artificielle. Mais lorsqu'apparaît l'idée d'une entraide possible des humains et des non-humains pour reconquérir leurs droits réciproques, ainsi qu'une vision de la cohabitation fondée sur la reconnaissance des différences, la question métaphysique de la liberté laisse place à la question de l'attachement et la problématique de l'autonomie fait place à celle de l'interdépendance. C'est cette utopie politique que déploient les séries contemporaines mettant en scène des Intelligences Artificielles, de Real Humans à Westworld.
L'œuvre littéraire est réinvestie d'une portée politique : interpellation située et pragmatique de la démocratie, fonction critique de l'écriture littéraire face aux discours médiatiques et demande de relation, comme en témoignent certains récits intimes récents qui favorisent le sens de l'égalité.
International audience ; Loin d'être une essence, la littérature est avant tout une idée. Cet essai entend en faire l'histoire, de l'apparition du mot et de la naissance du concept au tout début du XIXe siècle à ses étonnantes métamorphoses contemporaines.Car le territoire de littérature connait aujourd'hui une formidable extension : de la littérature définie par son désintéressement, son autonomie, aux écritures contemporaines volontiers sociales et politiques, du sacre de l'auteur aux amateurs de fanfictions, du souci unique du style à la non-fiction, de l'apologie de l'originalité à l'exigence de l'enquête, de la solitude du créateur aux littératures de terrain, du roman romanesque aux écritures du monde non humain, du culte du texte aux écritures hors du livre, du tropisme occidental à la world literature, d'une conception linguistique à une approche informée par l'anthropologie culturelle et les sciences de la nature.Que s'est-il passé ? Pourquoi avons-nous longtemps identifié la littérature à l'art pour l'art ? Quels chemins a emprunté ensuite notre idée de la littérature, après s'être définie par son inutilité et son intransitivité, pour nous apparaître désormais comme une pratique communicationnelle et relationnelle, à la fonction éthique et même démocratique ?C'est en faisant la généalogie longue et complexe de l'idéologie esthétique qui a dominé la littérature moderne et ses institutions, en interrogeant ses valeurs supposées universelles, en questionnant sa religion du texte et ses manières de produire des distinctions, en mettant en perspective les études littéraires qui l'ont accompagnée, que l'on peut comprendre une conception de la littérature comme un concept ouvert, extensif et inclusif, comme un moyen et non comme une fin.
International audience ; Loin d'être une essence, la littérature est avant tout une idée. Cet essai entend en faire l'histoire, de l'apparition du mot et de la naissance du concept au tout début du XIXe siècle à ses étonnantes métamorphoses contemporaines.Car le territoire de littérature connait aujourd'hui une formidable extension : de la littérature définie par son désintéressement, son autonomie, aux écritures contemporaines volontiers sociales et politiques, du sacre de l'auteur aux amateurs de fanfictions, du souci unique du style à la non-fiction, de l'apologie de l'originalité à l'exigence de l'enquête, de la solitude du créateur aux littératures de terrain, du roman romanesque aux écritures du monde non humain, du culte du texte aux écritures hors du livre, du tropisme occidental à la world literature, d'une conception linguistique à une approche informée par l'anthropologie culturelle et les sciences de la nature.Que s'est-il passé ? Pourquoi avons-nous longtemps identifié la littérature à l'art pour l'art ? Quels chemins a emprunté ensuite notre idée de la littérature, après s'être définie par son inutilité et son intransitivité, pour nous apparaître désormais comme une pratique communicationnelle et relationnelle, à la fonction éthique et même démocratique ?C'est en faisant la généalogie longue et complexe de l'idéologie esthétique qui a dominé la littérature moderne et ses institutions, en interrogeant ses valeurs supposées universelles, en questionnant sa religion du texte et ses manières de produire des distinctions, en mettant en perspective les études littéraires qui l'ont accompagnée, que l'on peut comprendre une conception de la littérature comme un concept ouvert, extensif et inclusif, comme un moyen et non comme une fin.
International audience ; The aim of this article is to investigate several issues related to the renewed social and political commitment of contemporary French literature. The article considers literature's ability to oppose societal normativity as political storytelling through entrusting both individuals and the community with increased acting power, as well as through challenging critics and academics to take part in current debates. Showing that literature can become a tool of individual reconstruction and can recreate social links, or a remedy against various forms of individualism and tendencies towards commodifying the world, the article presents several types of contemporary French works of fiction whose main goals are theorizing, describing, expressing empathy towards those who are confronted with illness, death, exile or terrorism. Several literary works that contest identity or societal labels are added to these, since they help us debate upon and stand up against inequalities or normativity.
Le présent essai constitue la version française de « The Empirical Turn of Literary Studies », in : Nicoletta Pireddu, Reframing Critical, Literary, and Cultural Theories, Palgrave Macmillan, Cham, 2018, pp. 119-135. ; International audience ; À la fin du XX e siècle, la théorie littéraire a possédé la valeur, mythifiée, d'un cadre explicatif universel, plaçant de manière originale les théories du texte à la base de l'arbre des connaissances et faisant de leurs analystes universitaires les maîtres du savoir. Avec la French Theory, théorie du texte, théorie de la narration, rhétorique et sémiologie furent employés pour décoder les faits sociaux les plus variés, qu'il s'agisse de comprendre le langage amoureux chez Barthes, de déconstruire la philosophie par l'écriture chez Jacques Derrida, de repenser le récit historique chez Hayden White ou d'analyser la poétique de la science chez Fernand Hallyn. Poursuivant le linguistic turn qui avait affecté la philosophie, la théorie littéraire avait amené les catégories et logiques textuelles à une prétention universelle et hégémonique : tout était langage, tout constituait un discours, tout faisait signe. À ce titre, la théorie littéraire était plus qu'une théorie de la littérature, plus qu'une épistémologie et qu'une « critique de la critique » : c'était bien une « critique de l'idéologie » 1 indissociable d'une pensée critique du social explicitement foucaldienne et secrètement marxiste, que ce soit dans sa version américaine, culturaliste, ou dans sa formulation française, plus directement politique. Les critiques érigées contre cette théorie littéraire ont été clairement identifiés et la guerre culturelle ayant sévi contre les cultural studies et leur constructivisme social centré sur les problématiques sexuelles et raciales a entraîné un reflux de la théorie, du moins dans les plus grandes universités américaines. L'alliance du formalisme et de l'idéologie de gauche au service d'un discours d'affirmation identitaire ou l'usage de la déconstruction derridienne comme arme anticapitaliste ont fait l'objet de critique acérées, depuis le débat ouvert par un article ravageur, « Against theory », de Steven Knapp et Walter Benn Michaels dans les années 1980 2 qui suscita une contre-attaque de Richard Rorty et Stanley Fish, jusqu'à l'anthologie Theory's Empire : An Anthology of Dissent de Daphne Patai et Will H. Corral (2005). Les expressions « post théorique » ou « après la théorie » sont devenus monnaie courante comme le note Vincent B. Leitch 3. L'influence de Wittgenstein et du pragmatisme, la tendance « antifondationaliste » et néopragmatique aux Etats-Unis, le retour du « sens commun » prôné par Antoine Compagnon en France ont battu en brèche les versions les plus idéologiques et les plus globalisantes des théories : le « rêve d'une méthode à la Bacon » et d'une « herméneutique générale » (Stanley Fish 4) semblent avoir reculé devant un scepticisme généralisé. Ce qui était en jeu dans la critique de Knapp et Michaels, c'était moins l'exigence d'une épistémologie de la critique, ni même les différentes méthodes de la critique elles-mêmes, mais plutôt l'ambition de la théorie à atteindre une objectivité interprétative ou à retrouver une intentionnalité première 5 selon une problématique unifiée et, évidemment, la tendance de ces théories du texte à s'ériger en contre-discours. En ce début du XXI e siècle, ces débats, largement liées à des problèmes de philosophie du langage, ont largement perdu leur pertinence. Loin de ces questions, je voudrai montrer l'émergence d'une théorie littéraire qui enregistre le tournant informationnel, cognitif et computationnel, de la science
International audience ; Ayant déferlé en France depuis les années 1980 avec les théories du trauma, à partir d'une référence obligée à Boris Cyrulnik, très vite entré dans la sphère du développement personnel et de la psychologie populaire, le concept de résilience a nouvellement pris avec la crise du COVID une dimension idéologique et économique centrale-on se souvient que c'est le nom de l'opération lancée le 25 mars 2020 par l'armée française pour contribuer à la « guerre » contre l'épidémie. L'instrumentalisation jusqu'à la propagande, sa circulation complexe entre résistance, reliance, solidité, sûreté, autorégulation, imposent d'en faire la généalogie morale et politique. Devenu concept politique, la résilience impose une critique politique.
Le présent essai constitue la version française de « The Empirical Turn of Literary Studies », in : Nicoletta Pireddu, Reframing Critical, Literary, and Cultural Theories, Palgrave Macmillan, Cham, 2018, pp. 119-135. ; International audience ; À la fin du XX e siècle, la théorie littéraire a possédé la valeur, mythifiée, d'un cadre explicatif universel, plaçant de manière originale les théories du texte à la base de l'arbre des connaissances et faisant de leurs analystes universitaires les maîtres du savoir. Avec la French Theory, théorie du texte, théorie de la narration, rhétorique et sémiologie furent employés pour décoder les faits sociaux les plus variés, qu'il s'agisse de comprendre le langage amoureux chez Barthes, de déconstruire la philosophie par l'écriture chez Jacques Derrida, de repenser le récit historique chez Hayden White ou d'analyser la poétique de la science chez Fernand Hallyn. Poursuivant le linguistic turn qui avait affecté la philosophie, la théorie littéraire avait amené les catégories et logiques textuelles à une prétention universelle et hégémonique : tout était langage, tout constituait un discours, tout faisait signe. À ce titre, la théorie littéraire était plus qu'une théorie de la littérature, plus qu'une épistémologie et qu'une « critique de la critique » : c'était bien une « critique de l'idéologie » 1 indissociable d'une pensée critique du social explicitement foucaldienne et secrètement marxiste, que ce soit dans sa version américaine, culturaliste, ou dans sa formulation française, plus directement politique. Les critiques érigées contre cette théorie littéraire ont été clairement identifiés et la guerre culturelle ayant sévi contre les cultural studies et leur constructivisme social centré sur les problématiques sexuelles et raciales a entraîné un reflux de la théorie, du moins dans les plus grandes universités américaines. L'alliance du formalisme et de l'idéologie de gauche au service d'un discours d'affirmation identitaire ou l'usage de la déconstruction derridienne comme ...
International audience ; The aim of this article is to investigate several issues related to the renewed social and political commitment of contemporary French literature. The article considers literature's ability to oppose societal normativity as political storytelling through entrusting both individuals and the community with increased acting power, as well as through challenging critics and academics to take part in current debates. Showing that literature can become a tool of individual reconstruction and can recreate social links, or a remedy against various forms of individualism and tendencies towards commodifying the world, the article presents several types of contemporary French works of fiction whose main goals are theorizing, describing, expressing empathy towards those who are confronted with illness, death, exile or terrorism. Several literary works that contest identity or societal labels are added to these, since they help us debate upon and stand up against inequalities or normativity.
International audience ; Ayant déferlé en France depuis les années 1980 avec les théories du trauma, à partir d'une référence obligée à Boris Cyrulnik, très vite entré dans la sphère du développement personnel et de la psychologie populaire, le concept de résilience a nouvellement pris avec la crise du COVID une dimension idéologique et économique centrale-on se souvient que c'est le nom de l'opération lancée le 25 mars 2020 par l'armée française pour contribuer à la « guerre » contre l'épidémie. L'instrumentalisation jusqu'à la propagande, sa circulation complexe entre résistance, reliance, solidité, sûreté, autorégulation, imposent d'en faire la généalogie morale et politique. Devenu concept politique, la résilience impose une critique politique.
International audience The aim of this article is to investigate several issues related to the renewed social and political commitment of contemporary French literature. The article considers literature's ability to oppose societal normativity as political storytelling through entrusting both individuals and the community with increased acting power, as well as through challenging critics and academics to take part in current debates. Showing that literature can become a tool of individual reconstruction and can recreate social links, or a remedy against various forms of individualism and tendencies towards commodifying the world, the article presents several types of contemporary French works of fiction whose main goals are theorizing, describing, expressing empathy towards those who are confronted with illness, death, exile or terrorism. Several literary works that contest identity or societal labels are added to these, since they help us debate upon and stand up against inequalities or normativity.
International audience ; By the end of the 20th century, literary theory had acquired the mythified value of a universal explanatory framework, placing theories of the text in original ways at the roots of the tree of knowledges, and turning their academic analysts into the masters of such knowledge. With French Theory, textual and narrative theories, as well as rhetoric and semiology, were used to decoding the most disparate social facts, be it to understand a lover's discourse for Barthes, to deconstruct philosophy through literature for Jacques Derrida, to rethink historical narrative in Hayden White, or to analyze the poetics of science for Fernand Hallyn. Pursuing the linguistic turn that had affected philosophy, literary theory had led textual categories and logics to a universal and hegemonic ambition: everything was language, everything constituted discourse, everything represented a sign. In that respect, literary theory was more than a theory of literature, more than an epistemology or a « critique of critique ». It was, indeed, a « critique of ideology" inseparable from an explicitly Foucauldian and secretly Marxist critical social thought, be it in its American culturalist version or in its more directly political French formulation. The critiques erected against this kind of literary theory have been clearly identified, and the cultural war against the cultural studies and their social constructivism centered around sexual and racial issues have resulted in a stagnation of theory, at least in the most prominent U.S. universities. The alliance of formalism and of left-wing ideologies in the service of an identitarian discourse, or the adoption of Derridian deconstruction as an anticapitalist weapon have been the object of fierce criticism, since the debate initiated the 1980s by Steven Knapp and Walter Benn Michaels' ruthless article « Against theory » which triggered Richard Rorty's and Stanley Fish's counterattack , down to Daphne Patai and Will H. Corral's Theory's Empire: An Anthology of Dissent (2005).
International audience ; By the end of the 20th century, literary theory had acquired the mythified value of a universal explanatory framework, placing theories of the text in original ways at the roots of the tree of knowledges, and turning their academic analysts into the masters of such knowledge. With French Theory, textual and narrative theories, as well as rhetoric and semiology, were used to decoding the most disparate social facts, be it to understand a lover's discourse for Barthes, to deconstruct philosophy through literature for Jacques Derrida, to rethink historical narrative in Hayden White, or to analyze the poetics of science for Fernand Hallyn. Pursuing the linguistic turn that had affected philosophy, literary theory had led textual categories and logics to a universal and hegemonic ambition: everything was language, everything constituted discourse, everything represented a sign. In that respect, literary theory was more than a theory of literature, more than an epistemology or a « critique of critique ». It was, indeed, a « critique of ideology" inseparable from an explicitly Foucauldian and secretly Marxist critical social thought, be it in its American culturalist version or in its more directly political French formulation. The critiques erected against this kind of literary theory have been clearly identified, and the cultural war against the cultural studies and their social constructivism centered around sexual and racial issues have resulted in a stagnation of theory, at least in the most prominent U.S. universities. The alliance of formalism and of left-wing ideologies in the service of an identitarian discourse, or the adoption of Derridian deconstruction as an anticapitalist weapon have been the object of fierce criticism, since the debate initiated the 1980s by Steven Knapp and Walter Benn Michaels' ruthless article « Against theory » which triggered Richard Rorty's and Stanley Fish's counterattack , down to Daphne Patai and Will H. Corral's Theory's Empire: An Anthology of Dissent ...