Socialement invisibles jusque-là, les personnes âgées, que l'on appelle alors les « vieillards », du Québec font irruption en 1936 sur la scène politique, en pleine crise économique. Beaucoup écrivent au premier ministre en le pressant d'instaurer la pension de vieillesse pour personnes démunies qui existe ailleurs au Canada. Parmi les lettres reçues, de nombreuses femmes, âgées et pauvres réclament cette pension comme un droit, une faveur ou les deux à la fois. Intervenant sur un terrain où ne les convient ni leur sexe, ni leur âge, ni leur origine sociale, ces Québécoises âgées testent les conceptions de la citoyenneté et préfigurent l'évolution qui fera de la vieillesse une affaire d'État.
Oubliée des historiens et des historiennes, une histoire du travail des femmes âgées attend toujours d'être écrite. Un tel projet permettrait de considérer ces femmes comme des actrices sociales et de questionner la définition de la vieillesse. À partir d'une étude sur les hôpitaux montréalais (1940-1980), l'auteure propose de repenser la notion de travail. Considérer travail rémunéré (travailleuses) et travail gratuit (religieuses, bénévoles) élargit le groupe-cible et met en lumière comment la définition de la vieillesse, pensée par et pour le monde du travail rémunéré, envahit la sphère du travail gratuit féminin dans les années 1960.
Cadre de la recherche: Longtemps menées en parallèle, les études sur les âges de vie et sur le genre convergent davantage depuis quelques années, mais laissent encore de vastes territoires à découvert. Certaines analyses traitent encore le sexe comme une simple variable qui n'exige pas de problématisation. D'autres, perdent encore de vue le fait que grandir et vieillir génèrent des catégories et des trajectoires qui sont le résultat d'interactions de sexe et d'âge. L'arrimage entre genre et âge reste ainsi encore à être resserré. Objectifs: L'article introductif du numéro « Âges de vie, genre et temporalités sociales » propose d'explorer les interactions entre rapports d'âge et de genre en examinant les constructions sexuées des âges et les trajectoires de vie structurées par le genre. Méthodologie: Sont recensées dans cet article des études de sociologues et d'historien.ne.s explorant les arrimages genre/âge. Résultats: Les articles présentés contribuent à montrer à quel point les rapports de genre et d'âge s'imbriquent et interagissent dans l'élaboration des inégalités sociales durant toute la vie des individus. Ils participent également à remettre en question la hiérarchie sociale qui se fonderait « mécaniquement » sur le genre et certains marqueurs liés à l'âge. Conclusions: L'analyse conjointe des rapports de genre et d'âge progresse, mais lentement et demeure encore dans l'angle mort des perspectives intersectionnelles. Si les recherches actuelles reconnaissent désormais le genre et l'âge comme des systèmes qui interagissent constamment, elles abordent encore trop rarement les rapports de pouvoir et les inégalités cumulatives qu'ils génèrent. Contribution: Cet article introductif ouvre de nouvelles perspectives de recherches, tant au regard des processus genrés favorisant le développement de caractéristiques physiques sexuées, que des codes sociaux dominants qui façonnent les expériences et temporalités hétéronormatives.
Cet article analyse la structure et l'évolution des programmes ainsi que la composition du personnel enseignant et administratif relatifs à trois disciplines du paramédical à l'Université de Montréal entre 1940 et 1970: la technologie médicale, la réhabilitation et la diététique. Il s'agit de programmes dont la clientèle est en grande majorité ou en totalité féminine. La problématique des auteures s'inscrit dans le cadre d'une analyse des rapports qui lient entre eux l'univers du « care», qui fait référence à l'acte de soigner, et du « cure», qui renvoie à un acte — médical ou autre — supposant un diagnostic et un traitement axés sur la guérison. À travers l'analyse des trois disciplines mentionnées plus haut, l'hypothèse que cherche à vérifier cette étude est double : 1°) Il existe une hiérarchie entre le « cure » et le « care » dans la mesure où ces notions renvoient à un savoir théorique plus valorisé que le savoir-faire pratique. Surtout lorsque ce savoir théorique se rapporte à la médecine. 2°) Dans la mesure où le savoir théorique médical (institutionnalisé) a été accessible surtout aux hommes-médecins, la hiérarchie des savoirs a débouché sur un rapport de pouvoir défavorable aux femmes.
Research Framework: Long conducted in parallel, studies on life stages and gender have converged more in recent years, but still leave large areas uncovered. Some analyzes still treat sex as a simple variable that does not require problematization. Others lose sight of the fact that growing up and aging generate categories and trajectories that are the result of interactions of sex and age. The link between gender and age thus still needs to be tightened. Objectives: The introductory article of the issue " Life Stages, Gender and Temporalities" proposes to explore the interactions between age and gender relations by examining the gendered constructions of ages and the life trajectories structured by gender. Methodology: This article lists studies by sociologists and historians exploring gender/age links. Results: The articles presented help to show to what extent gender and age relationships overlap and interact in the development of social inequalities throughout the life of individuals. They also participate in questioning the social hierarchy which is "mechanically" based on gender and certain age-related markers. Conclusions: The joint analysis of gender and age relations is progressing, but slowly, and still remains in the blind spot of intersectional perspectives. While current research now recognizes gender and age as constantly interacting systems, it too seldom addresses the power relations and the cumulative inequalities they generate. Contribution: This introductory article opens up new research perspectives, both with regard to the gendered processes favouring the development of sexual physical characteristics and to the dominant social codes that shape heteronormative experiences and temporalities.