Autogestion et pouvoir en Yougoslavie
In: Revue d'études comparatives est-ouest: RECEO, Band 14, Heft 4, S. 5-29
ISSN: 2259-6100
En quoi l'autogestion modifie-t-elle le pouvoir du parti, de l'État ? Telle est la question abordée dans cet article à propos de la prise de décision et de la légitimité du pouvoir.
Quant à la prise de décision, le modèle du socialisme d'autogestion comporte divers éléments qui mettent en cause le monopole du parti communiste en ce domaine, mais le rôle du parti, par ailleurs essentiel dans le modèle même, demeure apparemment grand dans la pratique, s'exerçant sans doute par les liens informels entre le parti et les organismes étatiques, exécutifs, et par la politique des cadres. On peut penser que la principale entrave à la réalisation de l'autogestion est cette structure de pouvoir liée au parti (y compris sécurité politique et armée). La participation des travailleurs dans l'entreprise, celles des citoyens dans les collectivités socio-politiques demeure limitée. En revanche, il y a eu une réelle décentralisation, surtout politique au niveau des républiques et provinces, et aussi des communes, mais elle reflète la structure de pouvoir liée au parti, dont elle assure la présence en tant que tel dans le pays, même si les directions politiques décentralisées peuvent s'appuyer sur les aspirations de la population de leur territoire (nationalisme, localisme). C'est cette décentralisation qui pose un problème pour le pouvoir central dans l'établissement ou l'application de sa politique, les changements radicaux nécessaires en temps de crise étant très difficiles, car lésant trop d'intérêts établis.
A propos de la réalisation de l'autogestion, on peut poser deux questions quant aux rapports autogestion/société, dans quelle mesure l'autogestion était adaptée à la société existante et dans quelle mesure le modèle choisi est adéquat, par rapport aux buts poursuivis ?
Cependant, si l'autogestion ne se réalise pas vraiment, l'autogestion, ses corollaires et ses institutions elles-mêmes, ont un rôle dans les rapports pouvoir/société, contribuant souvent à la légitimité du pouvoir ; une grande place revient aussi à la « libéralisation » qui a accompagné la mise en place du système d'autogestion (liens avec le monde extérieur, mode de vie « occidentalisé », liberté artistique, etc.)
Aujourd'hui la Yougoslavie traverse une crise grave, dans le domaine économique et aussi dans le domaine des nationalités ; à propos de l'économie, l'autogestion généralisée a pu être mise en œuvre, mais l'origine des difficultés est plus, semble-t-il dans les aspects négatifs de la décentralisation, dans la structure du pouvoir ; par ailleurs la politique de stabilisation économique risque d'atteindre le consensus dans le parti communiste et avec la population. L'évolution du système politique ou au moins de son fonctionnement, réclamée, paraît cependant difficile, lésant les intérêts des groupes informels de pouvoir, des entreprises, de la population même, et touchant finalement le rôle de la Ligue des communistes.